Rencontre avec Manuel Moser, du Comedia Theater
Nous sommes ravis aujourd’hui de vous permettre de faire un peu plus connaissance avec Manuel Moser, qui travaille au théâtre Comedia à Cologne.
Qui es-tu?
Je suis Manuel Moser, directeur artistique de 42 ans vivant à Cologne en Allemagne.
Que fais-tu professionnellement?
Je suis acteur, metteur en scène, auteur, et l’un des directeurs artistiques du théâtre COMEDIA, l’un des plus grands théâtres jeune public en Allemagne. Par ailleurs, je suis également membre de l’équipe artistique de ‚europefiction‘, un projet pour des jeunes lié à dix théâtres dans six pays européens, j’ai mon propre collectif de théâtre c.t.2021 à Cologne, avec lequel nous produisons des oeuvres pour adultes, et j’ai créé „Family Rangarang“, un groupe de réfugiés et migrants qui crée une oeuvre théâtrale par an.
Pourquoi travailles-tu sur des projets avec des personnes en situation de migration? Quelles sont tes motivations personelles?
Ma motivation personnelle est de faire du théâtre pour tous les habitants de ma ville. Cela inclut les réfugiés et personnes en situation de migration, ainsi que tous les autres. Dans mon travail sur des thématiques telles que la migration, j’essaie de me rapprocher de metteurs en scène eux-mêmes issus de situations de migration, afin que leurs perspectives soient mises en avant. Je me sens plus comme un créateur d’opportunités, car notre système de théâtre ne permet d’être visible si on ne fait pas partie de la majorité.
Je veux apprendre, je veux être inclusif et je veux que toutes les voix soient entendues sur la scène de notre théâtre.
Quelle est ton approche de la relation avec les migrants au Comedia?
Je ne pense pas qu’il faille „aider“ les migrants, ou que je doive les „éduquer, former“. Nous faisons du théâtre ensemble, ce qui signifie que nous cherchons, improvisons, collectons des textes, et décidons ensemble. L’art est un language universel – pourquoi devrais-je penser que j’en sais plus que quelqu’un de Syrie ou d’Afghanistan? Ce travail collectif est parfois difficile, car les perspectives de jeunes migrants ne sont pas les mêmes que les miennes, en tant que metteur en scène mâle et gay. Ces dernières années, nous avons eu l’immense chance de rendre notre équipe plus diverse, en incluant des voix féminines, trans*, jeunes et de personnes issues de situations de migration au sein de notre théâtre. Et malgré tout, nous sommes loin d’être aussi divers que l’est notre société. Mais nous travaillons à cet objectif.
La participation pour nous ne signifie pas seulement avoir l’opportunité de monter un projet, mais bien de faire partie de la prise de décision liée à notre art. Ceci est difficile à mettre en place et accepter, en particulier pour les personnes qui avaient l’habitude de prendre les décisions ces dernières années, souvent des hommes blancs. Le fait que ce processus ait lieu dans toute la société en ce moment facilite un peu les choses. Mais nous avons encore beaucoup à apprendre.
Comment penses-tu que le projet Getting Unstuck peut aider des équipes artistiques qui travaillent avec des personnes issues de l’immigration, ou qui le sont elles-mêmes?
Je pense que nous sommes tous „coincés“ (ndlr: „be stuck“ signifie „être coincé“) dans nos habitudes, des systèmes, des structures. Parfois, j’ai même l’impression que nous en tant qu’autochtones allemands sommes plus „coincés“ que des jeunes migrants qui ont tout changé dans leur vie en entreprenant leur voyage vers l’Europe.
Réaliser que nous ne pouvons solutionner nos problèmes qu’en apprenant les uns des autres, en acceptant les besoins des autres, en prenant des décisions, et penser d’une nouvelle façon peut nous aider à recréer nos sociétés. Comment pouvons-nous penser que nos sociétés vont évoluer si nous faisons toujours les choses de la même manière qu’il y a 20 ans en attendant des autres qu’ils s’adaptent à nos traditions et coutumes? Si nous ne changeons pas, le théâtre n’aura plus aucun sens dans quelques années, pour les jeunes, pour les personnes de couleur.
J’espère que le projet Getting Unstuck nous donnera l’opportunité d’essayer différentes approches. A la fin du projet, il pourrait y avoir des exemples de bonnes pratiques, des retours de participants nombreux dans toute l’Europe, que ce soit des metteurs en scène ou des migrants artistes.
Mon souhait serait de voir des résultats artistiques qui ne renforcent pas la distribution des pouvoirs dans nos sociétés européennes telle qu’elle est, mais d’entrevoir une Europe où des personnes de toutes origines puissent coexister de manière égalitaire et en paix.
Mon objectif n’est pas de reproduire des images d’hommes européens intelligents montrant comment faire les choses (par exemple l’art) mais de créer un réel espace de co-création, ouvert à d’autres perspectives et d’autres points de vue.
Si c’était possible, nous en bénéficierons tous!